Michaela Frank, la reine de la comfort food

Le «Kultur Lokal Rank» donne le ton. La devise de ce tout jeune restaurant est à prendre au sens propre comme au sens figuré. Le lieu offre en effet une scène à des artistes nationaux et internationaux, principalement des musiciens de jazz. Mais le «Rank» est aussi un restaurant dans l'air du temps. Durable, ni trop ni trop peu, et décontracté juste ce qu'il faut. Aux commandes des fourneaux se trouve une jeune femme qui incarne cette nonchalance décomplexée à la perfection. Michaela Frank est devenue cheffe de cuisine à tout juste à 25 ans. «Lorsqu'on m'a proposé le poste, ma première réponse a été non», se souvient Michaela, qui était alors encore en pleine formation de cheffe cuisinière. Une réaction qui ne traduisait pas un manque d'assurance, mais une vision réaliste des faits. Le projet du «Rank» est porté par l'équipe qui gère le «Rechberg 1837» à Zurich. «Ils n'ont pas laissé tomber, m'ont dit que j'apprendrai. Je me suis dit: oh et puis merde, je me lance! Et si ça ne marche pas, je partirai à l'étranger.» Michaela est toujours là, tout est dit!

Michaela cuisine de la feel food, des plats qui ont le pouvoir de rendre heureux. Elle ne construit pas ses assiettes au cordeau, mais déploie toute sa précision dans le choix des ingrédients. «Nous utilisons énormément de produits de la ferme de Gut Rheinau. Les propriétaires sont devenus des amis», explique-t-elle. Située dans le Weinland zurichois, cette ferme Demeter fait figure de pionnière en matière d'agriculture biodynamique. «Nous avons pris du bœuf d'Hérens chez eux, récemment. Leurs méthodes d'élevage et de valorisation des animaux sont les seules qui nous conviennent», affirme Michaela. Pour Michaela, utiliser l'animal dans son intégralité est une évidence. Elle transforme le cœur en pastrami et le foie, en pâté pendant que l'épaule mijote dans une sauce au lait de coco parfumée au gingembre et au chili.

Le congee, un porridge de riz chinois, plat signature du «Rank»

Michaela se servira de cette viande pour préparer son congee. «C'est de la comfort food qui nous vient de Chine. Le congee se mange à toute heure de la journée, ou bien quand on est malade, chaque fois avec des toppings différents», explique-t-elle. C'est un plat qui la replonge dans son enfance: sa mère est en effet originaire de Shanghai. «Le congee demande aux papilles un petit temps d'adaptation», admet-elle. C'est une sorte de porridge de riz servi au «Rank» avec du chou kale, du radis noir, des épinards d'hiver, du kimchi de bettes et des noix épicées, le tout accompagné d'un tendre morceau d'épaule de vache d'Hérens, ou d'un ragoût de champignons pour les végétaliens. Les clients l'ont adopté depuis belle lurette, le hissant au rang de plat signature du «Rank».

La cuisine a occupé très tôt une place de choix dans la vie de Michaela. «Les rituels culinaires sont extrêmement importants en Chine. C'est pour cela que ma mère a toujours tenu à ce qu'on mange tous ensemble». Sa mère préparait de grands classiques de la cuisine chinoise, mais parfois aussi des plats suisses. «De l'émincé de veau avec des spätzlis dans une sauce au gingembre, se souvient Michaela en souriant. Rien à voir avec ce que j'avais pu goûter chez mes amis!». Michaela a fait son apprentissage de cuisinière à l'institut Paul Scherrer à Villigen, un restaurant du personnel qui place la barre très haut. «C'est là-bas que j'ai appris les bases. Ils ont les ressources et le savoir-faire nécessaires pour former les apprentis».

Cuisine étoilée, service de livraison, barista

Son apprentissage en poche, Michaela a fait ses armes au Waldhaus à Flims et intégré l'équipe nationale junior des cuisiniers. Elle a fait un stage chez Nenad Mlinarevic au Park Hotel Vitznau. Quand l'ancien cuisinier de l'année l'a appelé pour lui demander si elle voulait intégrer l'équipe définitivement, elle a dit oui sans hésiter. Après Vitznau, elle a suivi Nenad à Zurich, collaboré au pop-up à la Stadthalle et fait ses premiers pas sur la scène zurichoise. Elle a participé au Soi Thai, ainsi qu'à l'ouverture du «Gül». Elle a ensuite décroché une bourse de la «Fundaziun Uccelin» d'Andreas Caminadas. Entre temps, elle a travaillé comme barista. Pendant la pandémie, elle a mis sur pied un service de livraison et cuisiné dans la cuisine de son père pour les gourmands de la région de Baden. «C'est là que je suis devenue adepte de la comfort food.»

Un an et demi après l'ouverture du «Rank», Michaela a les choses bien en main. Outre des repas agrémentés de musique, elle propose à ses clients des toasts à l'emporter. Pulled pork à la mayonnaise au miso, picanha avec coleslaw ou cheesy bite au fromage Jumi avec du chutney d'oignons: il y en a pour tous les goûts. Gérer le personnel fait également partie de son quotidien, même si le restaurant est organisé selon une hiérarchie plate. «Ce n'est pas facile. Mais je le fais avec une bienveillance que les gens voient. Quand je ne sais pas comment faire, je me renseigne. Quand je fais mal, je m'excuse.» Michaela a la chance d'avoir une équipe derrière elle qui la soutient. «Je sais que je peux appeler Carlos Navarro du Rechberg à tout moment. C'est bon de savoir que quelqu'un est là pour vous aider.»